Faits Vécus / Episode – 9 – L’Enquête épiscopale,Rapport de M. Werner / brigadier de gendarmerie,  – LES POSSÉDÉS D’ILLFURT (Alsace) par le Père Sutter Curé de Wickerschwihr, près de Colmar (Haut-Rhin) 


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L’Enquête épiscopale

 

Monseigneur Racss, évoque de Strasbourg, informé de tout ce qui concernait les deux pauvres victimes, était resté longtemps sceptique. Cédant enfin à des instances réitérées, surtout de la part de M. le chanoine Lemaire, doyen d’Altkirch, il nomma le 13 avril 1869 une commission de trois ecclésiastiques, pour faire une enquête minutieuse. C’étaient M. le chanoine Stumpf, supérieur du Grand Séminaire, plus tard évêque de Strasbourg, M. Scster, curé de Mulhouse et M. Freyburger, curé d’Ensisheim, par la suite Vicaire général du diocèse.

Ces Messieurs se rendirent à Illfurt. « M. le Curé étant absent, dit le rapport, nous fîmes avertir de notre arrivée M. le Maire, qui vint aussitôt nous rejoindre au presbytère et s’offrit à nous accompagner auprès des enfants, sans demander qui nous étions. Arrivés devant une cabane complètement isolée du village, M. le Maire nous prie de faire le tour de la demeure pour atteindre la porte d’entrée sans passer devant la fenêtre, où se tenaient d’ordinaire les enfants. La porte, fermée à l’intérieur s’ouvrit bientôt devant nous et nous fûmes reçus par une femme d’environ quarante ans, pauvre, simple et abattue par la tristesse : c’était la mère.

Elle fit un signe à M. Tresch, disant tout bas que les enfants étaient là ; Entrés dans la pièce voisine nous vîmes en effet un petit garçon, occupé à dévider des bobines de coton. « C’est l’aîné », nous dit le maire. « Et l’autre, ajouta-t-il, où est-il ? »

— La mère répondit avec surprise : « Mais il était là il n’y a qu’un instant : se serait-il encore sauvé, par la fenêtre ? » M. le Maire se mit à la recherche de l’enfant dans la pièce voisine et finit par le trouver sous un lit, d’où il l’arracha avec effort, pour nous l’amener. L’enfant se débattait avec une violence extrême et réussit à nous cacher sa figure pendant plus de dix minutes. M. le Maire ferma la porte de communication entre les deux chambres et se tint sur le seuil, pour empêcher l’enfant de s’évader.

En attendant nous observions l’aîné, qui ne détournait presque point les yeux de son travail. C’est un beau garçon de 13 à 14 ans, complètement sourd, d’une tenue modeste et calme, d’un regard simple et franc, d’une figure ingénue, mais portant je ne sais quelle empreinte de langueur et de tristesse. Après l’avoir observé quelques instants sans rien dire, je tirai de ma poche une médaille bénite par le Saint-Père et je l’offris au plus petit, dont le caractère contraste péniblement avec celui de son frère.

C’est un lutin, qui ne paraît aimer que les amusements et les jeux. Il tient la tête constamment baissée et ne regarde jamais personne en face. Sa figure est celle d’un espiègle, qui ne prend rien au sérieux et qui ne cherche qu’à faire du mal.

Il est revêche, moqueur et non moins insensible aux bons procédés qu’aux mauvais. C’est à celui-ci que je présentai d’abord la médaille. Mais il l’eût à peine aperçue en clignant de l’œil, qu’il recula aussi loin qu’il put, et quand il se sentit arrêté par le mur, il me fit d’un coup de poing, tomber la médaille de la main et parut même vouloir se servir des jambes pour se défendre.

  1. le Maire ramassa la médaille et chercha à la lui faire baiser, ce qui donna lieu à un incident fort pénible : l’enfant luttant avec force contre le maire, grimaçait et se tordait entre ses bras toutes les fois que la médaille touchait son corps, absolument comme s’il eût éprouvé par ce contact la brûlure d’un fer rouge.

L’aîné resta impassible à cette scène et continuant son travail, jeta une ou deux fois à peine un regard indifférent sur son frère aux abois.

Quelques instants après, je pris la médaille des mains de M. le maire et l’offris à Thiébaut. Aussitôt cet enfant jusque-là si calme, repoussa ses bobines et recula d’épouvante. Sa figure devint pourpre, sa respiration plus forte et ses yeux se troublèrent. Cependant voyant que je n’insistais point pour lui faire accepter la médaille, il se rendit bientôt, ramassa les objets qu’ils avaient jetés, les serra dans une boîte et s’assit tranquillement derrière la table. M. le curé d’Ensishcim s’assit à côté de lui : au même instant le petit garçon rougit de nouveau et recula à l’autre extrémité du banc jusqu’au mur. Quand il vit qu’on ne le suivait pas, il se mit à jouer machinalement avec quelques morceaux de papier, qui se trouvaient sur la table, ou bien il travaillait ses doigts avec les ongles, ayant l’air très préoccupé et semblant craindre un nouvel assaut de notre part.

Le Maire lui ayant jeté sur les doigts quelques gouttes d’eau bénite, il retomba dans une violente agitation. Il cherchait à fuir et, ne trouvant- aucune issue il se laissa choir sous la table pour se cacher.

  1. le Maire l’en retira et le plaça devant nous sur un autre banc, au pied d’un lit, tout près de moi. D’un bond l’enfant se précipita à l’autre extrémité du banc pour se soustraire à ce voisinage, et reprit son calme, le dos tourné vers le pied du lit. Ce lit est protégé par un pauvre rideau de coton bleu, descendant du plafond. Voulant soumettre l’enfant à une nouvelle épreuve, je priai M. le Curé de Mulhouse de lui jeter de l’eau bénite de derrière ce rideau, pour n’être pas aperçu. M. le Curé le fit, et l’enfant parut de nouveau inquiet, comme sous le poids d’une douleur inconnue et mystérieuse.

Prenant ensuite dans mon bréviaire une petite image, je fis mine de vouloir l’offrir à l’enfant, mais il me repoussa avec violence et il ne me fut possible de l’approcher que grâce à M. le Maire qui le tenait fortement serré dans ses bras. Je lui posai alors l’image sur la tête, mais il la fit tomber aussitôt, et cette épreuve semblait l’avoir fatigué beaucoup. Il s’essuya le visage avec les deux bras en respirant avec effort.

Joseph pendant ce temps s’était sauvé par la fenêtre pour aller jouer avec ses frères et sœurs devant la maison. Sa mère nous donna ensuite différents détails. Ce sont, dit-elle, les aînés de six enfants. Ils avaient toujours été sages, notamment le plus grand et avaient fréquenté l’école avec plaisir.

C’est eu revenant de l’école, qu’un jour ils changèrent tout-à-coup de conduite, ne voulant plus ni prier, ni toucher à aucun objet de piété.

Depuis longtemps le plus âgé a de fréquentes convulsions, qui s’emparent de lui ordinairement à 10 heures du soir ou à minuit. Sa voix change subitement dans ces accès, et il perd connaissance. Une voix étrangère, une grosse voix d’homme, parle alors par sa bouche, sans que l’enfant remue les lèvres. Cette voix répond toujours en allemand aux différentes questions qu’on lui adresse soit en allemand, soit en français, soit en latin.

Les personnes et les objets, dont on lui parle, sont presque toujours désignés par des surnoms ou des termes habituellement grossiers ou odieux… »

Les trois membres de la Commission Episcopale quittèrent les enfants vers midi, convaincus de leur état anormal. Ils proposèrent de retirer les enfants d’Ulfurt, tant pour mettre fin à l’agitation de cette localité et des villages environnants, que pour mieux constater la vraie nature de ces singuliers phénomènes.

  1. le Préfet du Haut-Rhin , disait-on, autorisait la commune à s’imposer les sacrifices nécessaires pour faire mettre les enfants dans quelque institution, et M. le Maire d’Ulfurt assurait que les parents n’y mettraient point d’obstacle, à la condition toutefois-que les enfants n’eussent pas à souffrir des épreuves, auxquelles on les soumettrait. M. le supérieur Stumph proposa de les mettre dans un établissement de religieuses à Strasbourg, où l’on pouvait entreprendre l’exorcisme, et M. le supérieur Spitz offrit à cet effet, l’orphelinat Saint-Charles à Schillighcim, qui appartient au couvent de la Toussaint.

Après le départ de la commission, Thiébaut raconta à M. Tresch, d’où les trois Ecclésiastiques étaient venus, de Mulhouse, d’Ensisheim et de Strasbourg : « Le premier, dit-il n’y croit pas trop, mais les deux autres ont leur opinion bien arrêtée. Je crains surtout celui de Strasbourg, que le Gros Bonnet a envoyé à Illfurt. Mais je leur donnerai du fil à retordre. »

  1. Marula, vicaire général, fut d’avis de ne transférer d’abord à Schiltigheim que Thiébaut, l’aîné. Celui-ci y resta cinq semaines sous la garde des soeurs de l’établissement, quand sonna pour lui l’heure de la délivrance. On avait longtemps auparavant projeté une enquête officielle, mais elle n’avait pu aboutir par suite de circonstance spéciales.

Satan l’avait prédit. Lorsqu’un jour l’aîné des enfants fut pris d’une crise, M. Tresoh lui demanda en présence de MM. Spies et Martinot :

« Dis donc, où as-tu été aujourd’hui ?

—- « Oh ! je n’ai pas perdu mon temps, répliqua le diable, j’ai été à Strasbourg. »

 — « Qu’y as-tu fait ?

— « J’ai berné cinq calotins.

—• « Comment cela ?…

— « Hé ! j’ai mis une soutane, de la sorte j’ai réussi à les duper. » Ces Messieurs apprirent plus tard, qu’en effet l’évêché avait ordonné une enquête officielle, mais que le prêtre, qui en avait été chargé, n’en était pas enchanté. Il vint à Illfurt mais ne vit pas les enfants, ni leurs parents, ne franchit même pas le seuil de la maison Burner.

L’enquête tomba naturellement à l’eau et la cause du diable en fut puissamment renforcée. L’instituteur d’Illfurt, M. Miclos était l’un des principaux sceptiques. Il s’amusait à l’école à tourner en ridicule les événements de la famille Burner, et concluait par ces mots :

« Enfin de compte, il n’y a même pas de diable ! »

Un jour, le mari de cette personne mal famée qui avait donné la pomme aux enfants Burner se présenta au presbytère pour offrir à M. le curé Brey un grand poisson qu’il avait capturé

— il exerçait le métier de pêcheur. Mais le Curé refusa d’accepter quoi que ce soit de cette famille. Alors il quitta le presbytère en grommelant : « Le Curé n’en a pas voulu, l’instituteur le prendra ». En effet par esprit d’opposition M. Niclos acheta le poisson et le mangea. Pendant que ceci se passait le diable s’écria par la bouche des enfants :

« Ah, ah ! nous le tenons maintenant l’instituteur, mais nous ne l’aurons que dans un an. Effectivement peu de temps après il voulut se rendre avec deux de ses enfants dans son village natal non loin de Golmar pour traiter quelque affaire. En passant près du Champ de Mars de Colmar, il vit une compagnie de soldats en train de faire la manœuvre.

Il alla se planter devant la compagnie en s’écriant : « Je suis Napoléon, l’empereur des Français ». Puis prenant un morceau de papier il alla droit à l’officier pour le décorer. Le pauvre était devenu fou. On le conduisit à l’hôpital et de là à la maison des aliénés à Stephanfeld où il resta environ 9 mois. Il y fut soigné par Sœur Martial (sœur de monsieur le chanoine Lang, directeur de l’orphelinat de Clamart) qui est morte depuis Supérieure des prisons civiles de Strasbourg. A l’hospice des aliénés M. Miclos fut très calme.

Son unique occupation était de chanter les Vêpres en latin, à tue-tête, en arpentant le grand corridor ; il ne manquait pas un mot. Pour le reste il était taciturne et ne parlait à personne. Enfin on lui permit de rentrer ; il était en apparence guéri. Puis une huitaine de jours après son retour on le trouva pendu dans le grenier de la maison commune.

Le brigadier Werncr coupa lui-même la corde et M. le Docteur Pencclot d’Altkirch constata le suicide. Le démon l’avait encore prédit et s’était souvent moqué de l’incrédulité de M. Miclos.

Quelle en fut la suite ? Beaucoup de gens se convertirent et devinrent de bons chrétiens. C’est ainsi qu’un jour une brave femme vint chez les Pères Rédemptoristes de Landscr, pour refaire sa confession générale, faite auparavant. Elle disait avoir été chez les possédés d’Illfurt, et avoir remarqué que le diable semblait content d’elle ; voilà pourquoi elle se trouvait très anxieuse, croyant n’avoir pas la conscience en règle.

Rapport de M. Werner / brigadier de gendarmerie

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Un soir de Novembre 1868, je fus informé par le gendarme de planton qu’il y avait un attroupement considérable de personnes devant la maison Burner. Je m’y suis de suite rendue, afin d’en connaître la cause et j’appris que les autorités locales étaient déjà rassemblées dans une chambre au premier étage, où les enfants Burner se livraient à des bizarreries. J’ai fendu la foule et suis monté.

J’ai trouvé les deux enfants couchés dans le même lit. Ils étaient très pâles et leur physionomie était craintive et hébétée.

Cela m’intriguait parce que je les avais toujours connus gais et très intelligents. M’adressant au père afin de m’enquérir de quoi il s’agissait, il me répondit qu’il croyait que les pauvres enfants étaient ensorcelés. J’invitai le père Burner à faire visiter les malades par un médecin et j’allais me retirer lorsque le Maire et les quelques conseillers me prièrent de rester avec eux pour mieux observer les enfants. Trouvant l’invitation très juste, puisqu’elle me permettait de m’édifier et de me renseigner j’entendis vers minuit Thiébaut s’exclamer : « Le voici, le voici ».

Et aussitôt son ventre se gonfla démesurément. Sa respiration devint sifflante, sa poitrine se gonfla progressivement, puis se souleva et s’abaissa comme un soufflet de forge. Croyant à une supercherie

— (car pour moi les vessies ne sont pas des lanternes)

 — j’ai appuyé mes deux mains sur le ventre.

Comme je ne pouvais réprimer ces mouvements, un conseiller se joignit à moi, puis un autre, puis un troisième. J’ai enfin cédé ma place à un M. Bouvier, un colosse, marchand de farine. Tous les quatre pesaient sur l’enfant avec une telle force, que les planches du lit craquaient, sans pouvoir arrêter ces mouvements. Craignant des lésions internes pour l’enfant, j’ai prié ces Messieurs de le laisser libre. A notre grande surprise il répondit : « Mais je ne ressens absolument rien. Vous pouvez vous mettre en plus grand nombre si vous le voulez. » Sa voix était très claire, très calme.

Le petit Joseph s’était montré très inquiet. « – Tout à l’heure, dit-il, ce sera mon tour ». J’ai pris le père à part sur le palier et l’ai interrogé sur la fréquence de ces crises. Il m’a affirmé que dans le laps de 4 à 6 jours, ces crises s’étaient répétées déjà plusieurs fois chez les deux ; mais moins prolongées parce qu’il y coupait court en suivant le conseil de M. le Curé, à savoir en les aspergeant avec de l’eau bénite et que si cette fois il n’est pas intervenu, c’est simplement pour nous donner toute latitude pour observer.

Quand je revins dans la chambre dix minutes après, l’enfant se trouvait toujours dans le même état. Je fis discrètement signe au père d’employer son moyen. Il jeta sur lui quelques gouttes d’eau bénite. Un grognement sortit de la poitrine, le ventre se dégonfla, la crise avait cessé.

Nous nous sommes mis ensuite à épier le petit Joseph, dont la crise devait être proche ; mais rien d’anormal ne se produisit. Les deux enfants, vaincus par le sommeil, s’endormirent profondément. Nous en avons profité pour nous retirer. Il n’y restait que l’appariteur et sa femme, désignés par le Maire pour veiller. Je n’y suis retourné que quelques jours plus tard et je m’y suis rencontré avec M. Brey. Après avoir échangé nos salutations, le prêtre me fit la question que j’allais lui adresser : — « Qu’en pensez-vous, Monsieur ? »« Ma foi, lui répondis-je, ceci est pour moi un mystère impénétrable et ce que j’ai vu l’autre jour m’a étonné. » — « Eh, bien, me répliqua-t-il, si ces deux malheureux se trouvent dans l’état où je les présume, votre étonnement va s’accroître. »

 

Il tira de sa soutane un cordonnet en soie qu’il passa dans l’anneau de cuivre d’une petite croix en bois très dur

— en buis je crois. Il nous la fit examiner à tous à tour de rôle. Chacun tira sur le cordon de toutes les forces et aucun ne put le rompre, c’était un cordon de Saint François et la croix était bénite. M. le Curé passa ce cordon autour du cou de Thiébaut et pria l’un des assistants de faire un triple nœud, après quoi chacun de nous vérifia ; le nœud se trouvant sur la nuque et la croix sur la poitrine, il était donc impossible à l’enfant de défaire les nœuds, comme il lui était impossible de casser le cordon.

D’ailleurs on faisait bonne garde. Les enfants se prêtèrent docilement à tout et ils répondaient aux questions des assistants avec lucidité et complaisance, lorsque tout à coup Thiébaut rompit l’entretien, blêmit et se mit à trembler en s’écriant : « Le voici le voici ! » J’ai prestement rejeté la couverture et nous avons tous constaté la disparition du collier. Toute l’assistance était stupéfiée. Thiébaut, devinant mon intention de fouiller le lit, se leva et fit aussi lever son frère..

« Maintenant cherchez, me dit-il, mais c’est inutile, le cordon n’existe plus. Quant à la croix, montez sur cette chaise, vous en trouverez une partie derrière les livres qui se trouvent sur le rayon au-dessus du lit, puis une partie sous la pile de bois derrière le fourneau et le reste devant la porte sur le palier.. C’était très exact. Pendant que je fouillais le rayon, où je mis la main sur un bras de la croix, d’autres personnes ramassaient les deux autres parties aux points désignés : quant au cordon il n’a plus été retrouvé. J’étais ébranlé et ce nouveau fait mystérieux fit le surlendemain le tour des journaux de la région, et les équipages de toute sortes chargées de monde affluèrent de tous les côtés dans la commune. La foule des curieux était si compacte pour voir ces enfants, qu’il devenait urgent d’établir un service d’ordre pour prévenir une catastrophe, car le plancher menaçait de s’effondrer.

J’ai enfin informé le parquet et la sous-préfecture de Mulhouse, de ce qui se passait dans ma résidence. M. le Sous-Préfet Dubois de Jencigny dépêcha immédiatement M. le Docteur Krafft, protestant, afin de visiter les enfants et d’émettre son opinion dans un rapport.

Ce médecin légiste s’approcha des enfants d’un air moqueur et narquois. Après s’être fait raconter par le Maire les diverses phases par lesquelles passaient les enfants il répondit : « Il n’y a là ni diable, ni sorcière, mais tout simplement une maladie que nous appelons « danse de Saint-Guy. »

Dans l’assistance les uns épiloguaient, tandis que d’autres étaient indignés de tant d’audace. Mais vous venez seulement d’arriver, objecta-t-on au docteur, Vous ne pouvez pas encore donner d’opinion, il faut d’abord voir. »

« C’est juste, répliqua-t-il, je vais donc provoquer une crise et ça ne sera pas long » Il tira sa montre d’or et l’approchant tout près des yeux de Thiébaut il lui dit :

« Il y a sur le boitier de cette montre une gravure représentant un oiseau. Cherche bien et si tu le trouves, la montre sera à toi » L’enfant fixa durant cinq minutes au moins et sans sourciller, son regard tendu sur la montre, sans découvrir l’oiseau (il y avait des dessins hétéroclites, mais point d’oiseau). Puis il soumit le petit Joseph à la même épreuve, mais sans plus de succès. Cette épreuve devait provoquer une crise de nerfs qui devait donner raison à l’homme de l’art. Cet insuccès du Docteur contribua encore à raffermir notre opinion sur le caractère surnaturel et de son côté le Docteur avoua qu’il ne s’agissait plus de maladie nerveuse. Mais quoi alors ? M. Antoine Zurbach, conseiller municipal se chargea de lui dessiller les yeux. D’un signe il l’éloigna des enfants et le fit sortir sur le palier.

 Là il rinça deux verres, qu’il emplit d’eau fraîche, puis présenta au Docteur un troisième verre contenant également de l’eau, et le pria de vouloir bien tremper un doigt dans cette dernière eau et d’en laisser tomber une goutte seulement dans l’un des verres d’eau fraîche. Après quoi il présenta le breuvage aux deux enfants toujours altérés. Ils allongèrent les mains avec avidité et chacun saisit un verre. Thiébaut vida le sien d’un seul trait, mais Joseph, sans le porter à ses lèvres jeta le sien sur le plancher en s’écriant : « Oh ! la saleté ! » Le Docteur paraissait fort embarrassé ; il retourna sur le palier et vérifia l’eau contenue dans le troisième verre.

« Mais elle n’a aucun goût révélateur » s’exclama-t-il. « Mais eût-elle un goût quelconque, cela serait sans importance, lui objecta M. Zurbach, puisque l’enfant ne l’a même pas portée à ses lèvres. »

 « Mais qu’est-ce donc que cette eau » ? « De l’eau bénite, M. le Docteur. » « Je n’y comprends plus rien », répondit-il, puis consultant sa montre il ajouta : « Mais c’est l’heure du train, je rentre à Mulhouse. » Il oublia cette fois son sourire. Puisque je me trouve au chapitre de l’eau bénite, je dois aussi narrer une petite mésaventure, arrivée à la dame NiroL, aubergiste au Cheval Blanc à Ulfurt.

Les ménages aisés de la localité s’étaient concertés pour fournir à tour de rôle les aliments aux deux enfants. Or un jour, Madame Nicot, dont – c’était le jour, leur envoya par sa nièce, Mademoiselle Lina Mcyer, une soupe aux lentilles. C’était leur régal à tous deux, et ils se montrèrent fort joyeux à la vue de ce mets favori. Ils se disposaient à manger lorsque d’un même mouvement ils repoussèrent avec colère la soupière qu’on leur présentait en disant : « Enlevez bien vite cette saleté ». Qu’était-il donc arriver ? Ils n’y avaient même pas encore goûté : Ayant appris l’incident je me suis rendu le soir même auprès de Madame Nicot pour me renseigner. Elle m’avoua très franchement qu’elle était incrédule et pour éprouver ces enfants elle avait additionné discrètement la soupe aux lentilles d’une cuillerée d’eau bénite et qu’elle était à présent convaincue qu’il ne s’agissait pas de comédie, comme elle l’avait cru jusqu’alors.

J’avais dans ma brigade un gendarme nommé Schini, ancien sous-officier d’artillerie, décoré de la médaille, militaire et d’autres ordres. Il appartenait à la religion protestante et riait sous cape en voyant journellement tant de monde venir de si loin pour voir les « bêtises » que faisaient les deux gamins. Pourtant un soir, ne pouvant plus résister à l’entraînement, il vint me demander la permission d’y aller. Je la lui ai accordée, mais à la condition qu’il n’y allât pas en uniforme et qu’il attendit la nuit close.

Quant à moi j’étais autorisé par notre capitaine à m’y rendre en uniforme quand bon me semblait, puisque je devais fournir des rapports aux autorités, mais le rôle du gendarme se bornait au service d’ordre dans la rue aux abords de la maison Burner.

Schini emprunta donc un complet de civil et se rendit à cette maison à la brune ; mais arrivé là, il fut obligé de faire queue au bas de l’escalier en attendant son tour pour monter chez les enfants ; mais malgré qu’il y eût foule l’attente fut de courte durée. Les enfants couchés dans leur lit dans une chambre au premier étage firent signe à leur mère de s’approcher d’eux et l’un d’eux lui dit-à voix basse :

« Va donc sur le palier et tâche d’écarter le monde, pour que le gendarme Schini qui se trouve au bas de l’escalier puisse pénétrer jusqu’à nous ; il y a si longtemps que nous ne l’avons vu. » La mère prit une lampe et obéit, mais ne voyant pas de gendarme, elle revint vers les enfants pour leur faire part de leur erreur. « Si, si, s’écrièrent les deux, M. Schini est en bas, il est en civil. »

 

C’est alors le père qui descendit trouver Schini pour le faire monter, mais il refusa et se retira. Le père n’était pas encore remonté que déjà les enfants s’écriaient : « Hein, il s’est sauvé Papa Schini ».

« Déjà » — dis-je à Schini lorsque je le vis rentrer à la caserne « Eh ! bien, qu’avez-vous vu ? » « Je n’ai rien vu, mais j’ai entendu, cela me suffit » dit-il et il me raconta qu’il avait été reconnu sans pourtant avoir été vu. « C’est drôle tout de même, ajouta-t-il, notre religion à nous nous défend la superstition et pourtant : comment expliquer ce mystère à moins que ces enfants ne soient doués d’une double vue.

Au mois de Février 1869, un après midi, je me trouvais près des enfants. Il n’y avait en ce moment que très peu de monde et les enfants paraissaient assez calmes depuis plusieurs jours parce que, disaient-ils « Lucifer fait carnaval ; il fréquente les bals ».

La mère Burner profita de ce répit pour arranger leur lit. Elle les fit asseoir en chemise, chacun sur une chaise près du poêle. Je me disposais alors à me retirer et je me trouvais déjà sur le palier, échangeant quelques mots avec M. Frindel, chef de gare, qui venait de monter. Tout à coup nous entendîmes une clameur surgir de la chambre. Nous y étant précipités nous vîmes Thiébaut soulevé par une force mystérieuse et planant au-dessus de son siège à 30 ou 40 centimètres environ. Il resta plusieurs minutes dans cette attitude.

 

Toute l’assistance était très impressionnée. Une jeune demoiselle saisit le bénitier et fit des aspersions. Après avoir hésité, et par saccades, l’enfant retomba sur son siège ; il paraissait épuisé et demanda à se recoucher. A ma question les parents, ainsi que quelques assistants, me persuadèrent que ce fait s’était déjà reproduit plusieurs fois chez tous les deux et le petit confirma leurs dires. Un jour, ayant entendu dire que la veille Thiébaut avait arraché des plumes à un oiseau mystérieux, je m’y suis rendu. Le père Burner me montra une boîte renfermant lesdites plumes. Elles étaient d’une nuance jaunâtre et entières.

Personne n’a pu les identifier. Ce n’était pas des plumes de la literie ; car nous avons minutieusement vérifié. Celles de la literie étaient des plumes d’oies grises ayant les extrémités rognées.  Je me suis adressé à l’enfant afin d’apprendre sous quelle forme son mystérieux visiteur lui apparaissait. Il m’a répondu : « Sous la forme d’une grosse oie, mais avec un bec très long et de grands yeux verts comme du phosphore ». Je me suis tourné vers le petit Joseph et lui ai demandé si son frère disait la vérité. Il m’a répondu que ce n’est nullement un oiseau qu’il voyait lui, mais un petit animal poilu comme un cochon d’Inde noir-

« C’est pourquoi », ajouta le père, Joseph ne gonfle pas autant que son frère. » Enfin j’ai dit à Thiébaut de déplumer l’oiseau lorsqu’il reviendrait. Sur ces entrefaite une dame étrangère distribua quelques friandises aux enfants qui se mirent à croquer, tout en répondant aux questions dont on les accablait. Thiébaut lâcha soudainement le bonbon qu’il allait porter à la bouche et tendant les mains en avant il cria : « Le voici, le voici ».

Il fit le simulacre d’arracher ; je lui saisis prestement un poing, tandis que l’autre fut retenu par un assistant. Quand nous lui ouvrîmes les poings, deux boulettes de plumes s’en échappèrent. Les ayant développées et examinées nous avons constat é qu’elles étaient identiques à celles qui se trouvaient dans la boite. J’ai conseillé au Maire de faire examiner ces plumes par un expert chimiste, mais j’ignore si cela fut fait. »

Le brigadier, qui avait perdu la foi depuis longtemps, fut bouleversé par tout ce qu’il voyait el entendait. Il déclara à sa femme qu’il allait commencer une autre vie et devenir un fervent chrétien. Il tint parole, fréquenta à partir de ce jour les offices, autant que son service le permettait et s’approcha chaque mois des Sacrements.


A SUIVRE ……


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